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Thèse dirigée par Serge Paugam



Marion Arnaud

Les petites retraites. L’encastrement économique et moral de la question sociale




Résumé :

L’appréhension des manifestations empiriques que recouvre la notion pauvreté ne peut pas faire l’impasse de la prise en compte des dynamiques générationnelles qui sont engagées dans la régulation de ce risque social. Ainsi, la compréhension sociologique du problème politique que pose l’existence des « petites retraites » dans un contexte de réformes structurelles touchant de nos jours de cette institution se heurte notamment aux stratégies de prévoyance patrimoniale qui ont été constituées par les acteurs tout au long de leur vie. Les petites retraites sont-elles des retraites de pauvres ? Cette question est mise à l’épreuve de la réalité empirique de l’expérience vécue des acteurs percevant des « petites retraites » en France aujourd’hui. Elaborée à partir d’une enquête qualitative menée en milieu urbain et rural et d’une connaissance fine de l’institution des retraites, cette thèse propose de discuter des liens entre retraite et la pauvreté à partir de l’étude des stratégies de prévoyance menée tout au long de leur vie par les acteurs percevant aujourd’hui de « petites retraites » en vue de saisir dans leurs diversité la nature des arbitrages qui ont été élaborés pour se projeter dans une vie hors du travail lors de la retraite.

La thèse articule une lecture du système de retraite à l’analyse des expériences vécues de « petites retraites » en vue de saisir les effets d’empreinte institutionnelle que le cadre normatif produit dans l’expérience vécue lors de la retraite. Le parti pris initial est de considérer le système de retraite comme une institution originellement mise œuvre pour réguler le risque de pauvreté dans la vieillesse et dont le principe de fonctionnement est basé sur l’articulation du principe de solidarité intergénérationnelle et d’une régulation politique des temporalités individuelles à échelle nationale. C’est en cela que le système de retraites traduit institutionnellement le mouvement d’encastrement économique d’une forme spécifique de la question sociale qu’est le risque de pauvreté dans la vieillesse. A l’aune d’un prisme théorique inspiré par les travaux de Durkheim, Polanyi et Thompson, cette thèse amène à penser l’institution d’un système généralisé de pensions comme une forme de marchandisation du retrait du marché de l’emploi, ce qui a constitué un fait social majeur ayant permis d’organiser la société dans le cadre du compromis salarial de l’après-guerre. En France, la forme de cette marchandisation a historiquement pris la forme de la répartition, qui a conféré aux retraites françaises un caractère non financier et permis le déploiement d’expériences vécues de la retraite dans des dimensions sociales, patrimoniales et morales. L’étude des expériences vécue retraite de ceux que l’on appelle les «petites retraites » permet de saisir comment le temps social de la retraite est le moment de la survenue d’une forme spécifique d’expérience vécue qui impose de repenser nos représentations de la pauvreté et dont les ressorts dépendent, dans une large mesure du rapport à la mobilité entretenu par les acteurs durant leurs parcours de vie. C’est ainsi en prenant en compte le poids du rapport à la mobilité des « petites retraites » dans les arbitrages effectués par les acteurs pour envisager l’avenir durant leur parcours de vie que cette thèse propose d’analyser comment le système des retraites impose à l’individu l’expérience d’un temps social spécifique et sociologiquement problématique que constitue le retrait du marché de l’emploi et comment l’existence de cette institution participe d’elle-même à faire émerger des formes spécifiques de stratégies de prévoyance.

Cette analyse sociologique de notre système de retraite est menée dans le but d’éclairer les enjeux liés à l’avenir d’une institution encore largement impensée et qui constitue pourtant l’un des mécanismes majeurs œuvrant à la production des inégalités sociales.

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